Mercredi 12 décembre
Départ à 2 heures du matin de Salvador de
Bahia. Nous croisons des flottilles de petits bateaux de pêche.
Des goélands nous survolent tout l’après-midi. Le
soir, des sapins ont poussé sur nos tables. Les haut-parleurs nous
annoncent encore un changement d’heure.
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Jeudi 13 décembre
6 h 30. Il fait grand jour. Je sors faire des photos. Surprise, les
passagers de l’autre table sont déjà en train de déjeuner.
Le temps de prévenir Marie-Paule et Janine, ils ont déjà
terminé. La pendule indique 8 h 30. Hier nous n’avons pas
compris le haut-parleur, qui pour une fois nous invitait à avancer
et non plus reculer nos montres d’une heure, parce que l'Etat de
San Salvador de Bahia a refusé de passer à l’heure
d’été.
Luigi, jeune officier italien, nous fait visiter tous les étages
du Grande Buenos Aires, de l’avant à l’arrière,
du douzième au premier. Certains sont vides mais d’autres
contiennent des centaines de voitures, toutes serrées, rétros
rabattus, soigneusement sanglées dans les anneaux prévus
pour éviter qu’elles ne bougent si la mer devenait agitée.
Les moissonneuses et les gros engins de travaux publics sont attachés
par des chaînes. Les plateaux chargés de machines ou de gros
tuyaux d’acier acceptent une charge limitée à 100
tonnes.
Le Grande Buenos Aires a été construit en 2003.
Extérieurement 214 m x 32,25 m, hauteur du 13ème étage :
34 m environ au-dessus de l’eau.
3 500 véhicules + 1 350 containers. 30 membres d'équipage.
Et 12 passagers maximum, c'est la loi sans médecin à bord.
La hauteur intérieure utile du pont 3 (3e étage), auquel
on accède en entrant, est de 6,10 m. Il mesure 200 m de long x
32 de large. 6 400 m² !
Les 16 réservoirs de fuel totalisent 2 800 tonnes de carburant,
suffisantes pour aller de Hambourg à Buenos Aires et retour. 27 000
km en 53 jours normalement, escales comprises. La consommation est de
70 tonnes par jour, environ 3 000 litres à l’heure,
celle d’une maison en 1 an !
Le plein est fait à Anvers en 10 heures.
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Chacune des 4 ancres a 160 m de chaîne dont les maillons, longs
de 40 cm, sont en acier épais comme l’avant-bras. Les guindeaux
sont énormes et les winches enroulent des cordes de 8 cm de diamètre.
Une petite porte de chaque côté du pont 3 permet au pilote
du port de monter à bord.
Le pont relevable du navire pèse 400 tonnes.
Au-dessus des machines, dans la salle de contrôle insonorisée
et climatisée, des ingénieurs indiens surveillent en permanence
les ordinateurs qui contrôlent tout le fonctionnement. Etonnante,
la tête d’ail ficelée au plafond est censée
protéger le navire du mauvais sort !
Selvam, jeune ingénieur indien, nous fait visiter la salle des
machines, impressionnante. Moteur diesel 8 cylindres. Puissance 14 000 kW.
Enorme, il fait un bruit d’enfer. Des passerelles l’entourent
sur 3 étages. Des centrifugeuses éliminent l’eau qui
peut se trouver dans le fuel avant de l’envoyer aux moteurs.
Un réservoir de Co² gros comme un camion-citerne permettrait
de faire face à un incendie.
En marche, un générateur est branché sur l’arbre
de transmission pour produire toute l’électricité
alors qu’à l’arrêt 4 génératrices
fabriquent celle nécessaire à la lumière, aux grues,
à l’ascenseur, au dépliage du pont relevable.
5 hélices propulsent le navire, créant un sillage rectiligne
guère plus large que le cargo.
2 autres hélices permettent de manœuvrer latéralement
au port.
Un dessalinisateur d’eau de mer fabrique 20 000 litres d’eau
douce par jour, nécessaire aux besoins des cuisines, des lave-linge
et des 42 occupants.
L’état de propreté des différents ponts est
remarquable.
En mer, à la passerelle, au 13e étage, il y a toujours au
minimum un officier, un cadet et un matelot qui surveillent les radars,
la carte sur l’écran numérique et la route prévue.
Un radar permet de voir les mouvements des navires, même s’ils
ne sont pas encore visibles aux jumelles. Leur taille, leur trajectoire
sont représentées et permettent d’anticiper et modifier
si nécessaire notre route. Même les petites barcasses apparaissent,
ainsi que la crête des vagues les plus hautes sous forme de points
lumineux.
Notre vitesse est en général de 19 nœuds, soit 35 km/heure,
donc 840 km parcourus en 24 heures.
Cet après-midi, il pleut. Nous arrivons devant la baie de Rio
à 18 heures. Grandes îles. Lumières au ras de l’eau
mais collines invisibles perdues dans les nuages. Nuit en mer.
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Vendredi 14 décembre
Le voyage traîne en longueur. De temps en temps on aperçoit
les collines de Rio. A 11 heures on repart.
Midi. Le pilote brésilien arrive dans son petit bateau.
Tout le monde mange en un quart d’heure, curieux de voir l’entrée
dans la baie de Guanabara. Deux bateaux de croisière y font escale.
Le quai est près du pont géant de 14 km qui relie Rio de
Janeiro à Niteroi.
Des voitures neuves venues d’Europe sont déchargées
et des neuves, brésiliennes, prennent leur place.
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Samedi 15 décembre
L'activité s'est poursuivie toute la nuit. Ils ont vidé
le pont à containers (à l’avant), chargé plein
de gros camions Volkswagen et 1500 voitures + 500 containers.
Nous allons faire un petit tour dans le port.
13 h 30. Nous partons avec le soleil.
Des régates ont lieu dans la baie, c’est samedi.
Le christ du Corcovado fait de brèves apparitions à travers
les nuages.
18 heures. Nous franchissons le tropique du Capricorne, Capricornio en
espagnol !
Puis nous sommes à hauteur de Parati, ville coloniale portugaise
merveilleusement conservée et restaurée et qui fut le point
ultime de notre remontée par la route en 2004.
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Dimanche 16 décembre
Santos est le plus grand port d’Amérique du Sud, près
de l’agglomération de São Paulo, une des plus grosses
villes du monde avec environ 20 millions d’habitants.
A 2 heures du matin nous avançons lentement. La rive est illuminée.
Nous apprécions d’avoir un hublot.
Grosse activité des camions qui transportent les containers. Chargement
de centaines de voitures VW modèle Gol, inconnu en Europe.
Permission de sortie jusqu’à 13 heures.
Déchargé plusieurs centaines de containers. Chargé
des centaines de Daily Iveco. Partis à 18 h 30.
Magnifique sortie au soleil couchant sur l’estuaire, qui s’enfonce
très loin; bordé de quantité d’installations
portuaires puis d’habitations misérables sur la rive gauche
mais de grands immeubles modernes sur la rive droite.
12 bateaux à l’ancre en mer.
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Lundi 17 décembre
En mer. On longe la côte du Brésil qu’on aperçoit
de temps en temps. Soleil.
Passons au large de Porto Alegre, grande ville célèbre pour
son Forum social et son port sur la rive d’un grand lac marin.
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Mardi 18 décembre
Très beau temps. Vent, bain de soleil. Passons à 13 heures
au large de l’Uruguay devant Punta del Este, station balnéaire
de 700 000 hts que nous connaissons et ses tours. Un bateau de croisière
y est ancré.
Après-midi au soleil.
Depuis Montevideo, capitale de l’Uruguay, le petit bateau du pilote
vient sur nous à toute vitesse.
16 h 50. Le pilote monte à bord. Nous entrons dans l’estuaire
du Rio de la Plata, qui doit faire 150 km de large ici, à son embouchure.
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17 h 37 précisément. Nous entamons un demi-tour très
serré que nous ne terminerons pas, car nous nous échouons,
après avoir brassé beaucoup de boue marron. Quand ça
se produit nous sommes assis dehors à l’abri du vent et malheureusement
nous ne regardons pas devant. Dès l’amorce du virage, (nous
n’aurions pas cru possible qu’il puisse tourner en un rayon
aussi court), la passerelle annonce aux haut-parleurs « manœuvre
de emergency », ou quelque chose comme ça. Nous avons
bien vu le cargo qui s’éloigne dans le sens opposé
et notre capitaine très en colère. C’est pour éviter
la collision que notre navire a braqué à fond en espérant,
après un joli virage à 360° parvenir à regagner
le chenal balisé. Notre sillage est une courbe parfaite de la largeur
du bateau que nous photographions. La boue soulevée est marron
alors que l’eau du rio de la Plata, que l’on estime d’habitude
marron, semble verte comparativement. Après quelques secousses
nous sommes immobilisés, bien que les hélices continuent
à mouliner la boue. Finalement ils n’insistent pas, et nous
restons penchés légèrement sur bâbord.
A 18 heures nous descendons dîner, en riant jaune. Passerons-nous
Noël à bord ? Décidément, ce voyage est
très spécial. Et s’il fallait abandonner le navire,
partir en chaloupe ? Ah non ! que deviendrait notre BerliLand ?
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19 h 35. La marée est montée. Nous repartons, brassons
beaucoup de fond marron mais ça bouge. Eureka ! Nous regagnons
le chenal balisé de bouées rouges et vertes. D’ici
on distingue bien les immeubles de Montevideo mais la rive argentine est
trop loin, invisible.
Beau coucher de soleil. Nous sommes tous soulagés. Il n’y
aura aucune autre communication sur les événements. Il a
été dit et répété que nous avons un
tirant d’eau de 7 m et qu’il n’y avait que 5,50 m de
fond.
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Mercredi 19 décembre
5 heures du matin. Nous sommes au large de Buenos Aires.
6 heures. Nous entrons dans le delta par un des bras du rio Parana de
las Palmas. De nombreux bras secondaires sillonnent irrégulièrement
le delta. Nous rencontrons de gros cargos. La lumière au lever
du soleil est toute dorée, c’est magnifique sur l’eau
et la forêt. Soleil, ciel bleu.
Sur les berges parfois une cabane ou un bungalow perdu dans la végétation
qui nous font penser à l’Amazonie ou à la Guyane.
Toutes ces îles basses sont couvertes de forêt, que généralement
nous dominons de nos 34 mètres.
Le chant des oiseaux monte jusqu’à nous.
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Nous croisons le Republica del Brasile, autre bateau de la
Cie Grimaldi, du même gabarit mais différent du nôtre
à l’avant car il n’a pas de pont découvert pour
containers ou camions.
En arrivant à Zarate nous sommes surpris par l’importance
des installations portuaires, raffineries et chimiques. Nous passons devant
le camping de Las Tejas, l’une de nos premières étapes
en 2003. Le navire de 216 cabines est toujours échoué là
et les lions dans leurs cages sont probablement encore là aussi.
Au-dessus de la cheminée, notre bateau a baissé son mât
pour passer sous le magnifique pont suspendu qui doit totaliser 6 km d’emprise.
Nous devons mesurer près de 45 m de haut.
Cette traversée de la forêt est l’un des plus beaux
parcours que nous ayons faits, et la vue de là-haut était
vraiment très agréable.
Le port roulier est tout près, et aidés d’un remorqueur
nous faisons demi-tour pour venir nous ranger contre le quai. Parking
immense, notre estimation est d’au moins 20 000 véhicules :
voitures, camions, moissonneuses, engins de travaux publics, tout est
neuf. Les parkings sont clôturés et des vigiles surveillent
depuis les miradors.
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Des cargos paraguayens sont venus charger des containers, des véhicules
ou des engins de travaux publics. Ils remonteront le fleuve pendant plus
de 1 000 km.
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Jeudi 20 décembre
Superbe lever du soleil sur la forêt d’où seuls les
grands arbres émergent d’une mer de brouillard.
Nous dégustons notre seconde bouteille de beaujolais, toujours
avec nos voisins suisses et Janine. Décidément, à
l’autre table, les Allemands et les jeunes Suisses ne sont guère
intéressants, ils ne nous ont presque jamais adressé la
parole et maintenant sont fâchés entre eux ! Ils ont
sursauté au bruit du bouchon. A votre santé, Laurence et
Bruno !
Encore une longue journée au soleil, pendant que sans arrêt
les chauffeurs déchargent 1 500 véhicules (VW, Fiat) et
en rechargent 2 500 (dont des Peugeot et Citroën et des fourgons
Mercedes). Des gros cargos de haute mer passent, un bateau militaire,
des bateaux porteurs de bois, tout plats, qui circulent dans tout le delta,
tellement chargés qu’on ne voit plus que du bois enfoncé
dans l’eau et heureusement la cabine.
Nous quittons la zone portuaire de Zarate en début de nuit. La
lune est pleine, la nuit douce et nous avons sorti nos chaises sur le
pont. Il reste encore une dizaine d’heures de navigation avant Buenos
Aires et la fin du voyage. Pendant 10 kilomètres, c’est une
succession de lumières, de torchères. Quelles belles illuminations
si près de Noël ! Nous ne reverrons malheureusement pas
la forêt dans la nuit et allons dormir.
La suite...
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